La Newsletter de la SNT août 2019
Spécial Fastnet 2019
Nous consacrons l’essentiel de cette newsletter à la Rolex Fastnet Race 2019 où les bateaux courant sous les couleurs de la SNT ont brillé de façon insolente.
Auparavant, nous avons plusieurs membres et licenciés du club à féliciter pour avoir brillé au cours des deux dernières semaines sur divers plans d’eau, à savoir :
- Julien Villon : ce trinitain brillant et talentueux a gagné le Tour de France à la Voile sur Beijaflore aux côtés de Valentin Bellet. Pour mémoire, Julien a été membre du Comité Directeur de la SNT il y a quelques années, sous la présidence de Jean-Pierre Blavec.
- Erwan Le Mené : à deux mois du départ de la Mini-Transat, Erwan s’est une fois de plus distingué en gagnant la Transgascogne en proto.
- Titouan Moreau : 2nd aux Championnat d’Europe d’Open-Bic. Ce jeune élève de l’Ecole de Sport de la SNT est très prometteur. Il ne s’arrêtera pas là…
- Tom Laperche : 2nd de la Douarnenez-Gijon-Douarnenez, courue sur Figaro 3. Après s’être distingué à la Solitaire du Figaro, Tom confirme son immense talent à seulement 22 ans…
- Yann Marilley : champion du monde de 6mJI sur Junior en Finlande. Bravo à lui et à l’équipage.
La Rolex Fastnet Race
Rappelons qu’il s’agit de la plus grande course au large du monde, longue de 605 milles, comptant cette année pas moins de 400 bateaux sur la ligne de départ, dont une grande majorité de bateaux jaugés en IRC, aux côtés de professionnels courant en Ultim, Imoca, Class40, etc… Elle se coure toutes les années impaires et tout le monde de la course au large veut y être… Elle est organisée par le fameux Royal Ocean Racing Club. Les français viennent en nombre mais la plus grosse flotte est anglaise.
Pour le RORC, la jauge qui compte est l’IRC qui se décline en 5 classes : IRC Z, IRC 1, IRC 2, IRC 3 et IRC 4, avec un classement IRC Overall et un classement IRC2H pour les bateaux courant en double. Ainsi, un bateau comme le JPK 10.30 Léon est classé en IRC 3, en IRC 2H et en IRC Overall.
Et bien, à l’exception de l’IRCZ et de l’IRC Overall, les français ont tout raflé : en IRC 1, IRC 2, IRC 3, IRC 4, IRC 2H, mais aussi en Ultim, Imoca, Class40, Mocra (catégorie Multicoque)… et il s’en est fallu de peu que le bateau trinitain Bretagne Télécom gagne aussi en IRC Z…
Les bateaux IRC menés par des licenciés et membres de la SNT :
19 bateaux ont pris le départ sous les couleurs du club.
Dans l’histoire de la Fastnet Race, y a-t-il eu un club ayant glané autant de places d’honneur ? Jugeons-en :
- Bretagne Télécom, bateau trinitain, 2nd en IRC Z et en IRC Overall à 45mn derrière le Vor 70 américain Wizard. Bretagne Télécom est un Mach 45. Il avait gagné le Fastnet en 2013 et 2015 dans sa classe. Ce bateau qui a plus de 10 ans a été construit et est skippé par le talentueux Nicolas Groleau. Il est dû au crayon de Samuel Manuard qui avait une sacrée longueur d’avance car le bateau reste toujours redoutable.
Bretagne Télécom au reaching dans la brise
- L’Ange de Milon à notre fidèle ami Jacques Pelletier, 1er en IRC 1. Il s’agit d’un Milon 41 sur plan Jacques Valer et construit par Charlie Capelle à St Philibert. Non contents de gagner Cowes-Dinard, Jacques et son équipage brillent sur le Fastnet… Bravo (voir le récit de Jacques Pelletier ci-dessous)
- Courrier Recommandé à Géry Trentesaux, 1er en IRC 2. Bateau dessiné par Jacques Valer, à nouveau lui, et construit à Lorient par Jean-Pierre Kelbert car il s’agit d’un JPK 11.80. Quand Géry participe à une course, ce n’est pas pour faire de la figuration mais pour gagner, et il s’en donne les moyens. Rappelons que Géry avait gagné l’an dernier avec ce même bateau la Middle Sea Race toutes classes… Bravo à Géry et à son équipage. (voir le récit de François Lamiot ci-dessous)
- Léon à Jean-Pierre Kelbert, 1er en IRC 3 et 1er en IRC 2H (double). Bateau dessiné par Jacques Valer, toujours et encore lui et construit, lui aussi, par JPK. Il s’agit du tout nouveau JPK 10.30. Ce bateau en a écœuré plus d’un, notamment dans la descente du rocher du Fastnet aux Iles Scilly. Jean-Pierre Kelbert est non seulement l’exceptionnel constructeur des JPK, mais aussi un redoutable coureur. (voir son récit ci-dessous)
Notons que le vainqueur en IRC 4 est Foggy Dew également un JPK 10.10 !
- Notons les très belles places occupées par nos fidèles coureurs trinitains : Lann Ael 2, Codiam, Aileau, Crescendo, Delnic, Mary, Tagan IV… tous dans les 10 premiers de leur classe…
Et maintenant place à la lecture…
À bientôt
Antoine Croyère
Le Fastnet d’Ange de Milon raconté par Jacques Pelletier:
FASTNET 2019 : l’année de L’Ange de Milon
Pour la 12e fois me voici à Cowes, à l’heure anglaise, pour le départ du Fastnet.
Je connais la procédure : quitter le ponton 1h30 avant le départ, passer la « gate » le long du bateau de contrôle avec les voiles de tempête à poste, l’équipage en rang d’oignons à bâbord, annoncer le nombre de personnes à bord, obtenir l’accord du comité pour partir, ranger le bateau, puis se rendre à proximité de la ligne et attendre son tour de départ ; cette année nous étions le 6 -ème et avant dernier départ, devant les Classes 0.
13h35 : nos dix minutes, tous les équipiers sont attentifs aux ordres de notre barreur Fred. Décompte du temps : 4mn, 1mn, 40 s envoi du spi et départ au cordeau. A la VHF on entend « all clear » ; c’est parti.
Sortie express du Solent avec courant portant. Comme prévu le vent mollit à la fin de la journée. Les fichiers météo nous avaient montré que le vent de secteur Est, qui nous avait fait sortir facilement du Solent allait passer en Ouest Sud-ouest et entre les deux une zone de calme à traverser.
Nos routages donnaient une alternative : le nord près de la cote et le sud presque au milieu de la manche. Il était évident que passer au mieux cette zone de transition était essentiel pour le restant du parcours. Décision prise nous resterions sur une trajectoire un peu au sud de la médiane entre les deux options.
La nuit tombe et sur un mer plate le bateau glisse tantôt sous code 0, tantôt sous spi. Jean Luc en profite pour nous préparer un bœuf carottes du meilleur goût.
Au lever du jour je n’ai plus que 14 cibles AIS sur mon écran et généralement des bateaux de dimensions supérieures aux nôtres. Soit, nous sommes devant, soit nous sommes derrière, mais la présence des « gros » bateaux me fait pencher vers la première hypothèse. Alors puisque la mer est calme, et pour respecter la tradition du petit matin qui a toujours régné à bord des Anges de Milon, je prépare, dans ma poêle magique qu’il est strictement interdit à quiconque de toucher, deux œufs sur le plat bacon pour chacun de mes équipiers.
L’hypothèse « de devant » se vérifie au Lizard lorsque je peux voir notre position sur le tracker du RORC : premier IRC 1, et de voir aussi que nous avons une dizaine de mille d’avance sur Lann Ael, notre concurrent direct.
Un grain bien mouillé juste avant le passage des Scilly et puis route directe, au près bon plein, sur la pointe nord-est du DST du Fastnet que nous devons laisser à bâbord. 150 milles avec un vent soutenu d’Ouest 25 à 30 nœuds. C’est humide et secouant mais en une vingtaine d’heures nous sommes au coin du DST. A cet endroit, le vent de manière sympathique vire un peu Sud-ouest tant et si bien que nous parcourons sur un bord le segment de 5 milles environ qui nous sépare du rocher, là où je pensais que nous aurions à tirer quelques bords pour le passer. Inutile de vous préciser que pendant cette traversée le bœuf carottes a été remplacé par les Bolinos, plus simple à préparer.
Nous doublons le Fastnet le lundi 5 août à 12h17mn57s, en tête de notre flotte. Vu notre position nous avons droit à l’hélicoptère photographe au ras de l’eau.
Lann Ael 2 est 1H10 derrière nous ; nous savons que cette heure est celle que nous lui avons prise dans la nuit du samedi au dimanche en traversant la zone de transition évoquée ci-dessus, mais nous savons aussi que dans la deuxième partie entre le Fastnet et Plymouth Lann Ael sera plus rapide que nous (nous l’avions déjà vérifié dans le Fastnet 2017).
Lorsque nous repartons sud en direction des Scilly, je me dis : ça y est, nous sommes à 80/90° du vent apparent, cela va être plus sec. Erreur, avec un vent bien établi ouest sud-ouest pour 25 nœuds, un ris dans la GV le code 0 et le J2 en place, notre barreur Fred s’organise, avec talent, pour enchainer les surfs. Or à partir de 13, 14 nœuds l’eau s’élève le long du bordé avant tribord du bateau passe au-dessus du pont et là le vent pousse cette eau, façon karcher, directement à la face des équipiers où qu’ils se trouvent sur le bateau. Et puis pour faire bon poids il y a une partie des vagues qui se glissent malicieusement le long du J1, qui évidemment fait un peu cuillère pour vous renvoyer le flux à la figure donc si vous avez raté le karcher tribord vous aurez la douche bâbord.
Et là encore c’est Bolino, avec tout de même un peu de délicieux « Bayonne » que j’avais pris soin de mettre à bord discrètement.
13H30 et 150 milles après avoir passé le Fastnet nous contournons Bishop Rock et abattons pour la dernière séquence de 90 milles. Cette fois c’est tranquille le vent est SSW pour 20 nœuds, plus de surf pour nous. A à bord la tension monte d’un cran. Nous savons que, là encore, Lann Ael est plus rapide. Il nous a repris 7 milles environ entre le Fastnet et Bishop ; va-t-il passer ?
Le Lizard doublé on abat encore un peu Lann Ael est à notre vent, il nous reste 40 milles soit de 4 à 5 h à courir ; peut-il nous prendre nos 33 mn d’avance en temps compensé ? on cogite, on réfléchit au meilleur endroit pour empanner. Je fais une tournée d’œufs au plat (c’est bon pour le moral).
Plymouth approche il reste une heure de course Lann Ael nous a doublé il est 0, 5 mille devant mais on a encore 30 mn d’avance en compensé, pas possible Lann Ael ne peut pas aller deux fois plus vite ; on va le faire
Lann Ael coupe la ligne et 3 mn et 11 s après, nous la coupons à notre tour ; nous avons 29 mn et 46 s d’avance en compensé. Parcours effectué en 2 jours et 21h30 en temps réel et 3 jours et 5h18 en compensé.
Séquence émotion : on a gagné, on se congratule sous les téléobjectifs des photographes. Enfin L’Ange de Milon sur la première marche du podium du Fastnet. Il m’en aura fallu du temps depuis mon premier Fastnet en 1971, à bord d’un Super Arlequin pendant 6 jours et 6 h ; autre époque !
J’en ai déduit la recette :
Essayer 11 fois, avoir un bon bateau, un bon équipage un peu entrainé, être aux bons endroits dans la nuit du samedi au dimanche pour traverser la zone de transition, avoir un peu de chance, et c’est fait.
Merci mes équipiers Pierre - insubmersible n°1-, Jean Luc -le grillon du foyer-, Hippolyte – toujours là quand il faut -, Christophe - la force tranquille -, Michel - le régleur tout temps -, Sébastien - GViste attentionné - et merci à notre talentueux barreur Fred, l’homme qui ne lâche jamais rien ; sans eux point de victoire.
Jacques Pelletier
Le Fastnet de Courrier Recommandé, raconté par François Lamiot
Le bateau et l’équipage sont arrivés fin prêt à Cowes 2 jours avant le départ
Mot de bienvenue de Géry à l’équipe pour notre premier repas sur la terrasse du Squadron et présentation du bizuth Julien Villion pour qui le Fastnet est une première.
Nous réglons les derniers détails administratifs au Rorc, préparons l’avitaillement pendant que Gery et Julien préparent la stratégie à venir, la navigation et la météo.
Samedi matin, jour du départ, nous prenons notre Full English Breakfast à la villa Rotsay avant d’enfiler notre tenue de navigation. Bottes pour les frileux, Crocs pour les courageux.
Nous avons notre première ETA et il semble que la météo nous permette de boucler la navigation en un temps record avec un avantage pour les grands bateaux.
Nous avons pris un départ canon coté Squadron devant un public nombreux sous un balai de drones.
Travers sous spi, nous sortons du Solent aidé du courant. Nous sommes rattrapés par les premiers maxi - yachts au niveau de Portland. Le spectacle est magnifique !
Notre objectif est de traverser la molle à venir le plus rapidement possible tout en gagnant dans l’Ouest. La nuit arrive, le vent molli et nous gagnons notre pari. Le jour se lève, notre avance est de trois milles sur l’adversaire le plus proche Codiam.
Sous génois légers puis sous médium, nous tirons des bords pour remonter vers les Scilly accompagné des bateaux de la classe supérieure tout en protégeant la gauche.
Enfin les iles sont en vues, nous pouvons ouvrir les écoutes et envoyer un code 5 le temps de zigzaguer pour parer le DST et les cailloux et nous voilà en route pour une longue et humide traversée de la mer Celtique en direction du Fastnet. Passage de front, pluie, refus, changement de voile, saut de vague. Il ne faut rien lâcher. Bon signe, l’AIS de nos concurrents directs disparaissent de nos écrans et nous tenons au chaud nos amis de l’Ange de Milon qui visent la première place en IRC 1 !
Au près, nous passons le Fastnet si proche que nous sommes obligés de lever la tête pour contempler le rocher et son phare. Toujours aussi beau, aussi sombre, un court moment magique. Nous pensons à la tragédie de 1979, aux 17 disparus et remercions les Anglais d’avoir conservé cette course.
La descente retour est plus difficile pour nos bateaux. Nous imaginons les maxi naviguer à la vitesse du vent à 25 nds sous voile plate alors que nous sommes à une allure batarde à 110° du vent sous code 5 trop grand avec GV un ris ou GV pleine et génois lourd trop petit
Le tout est avalé à plus de 11 nds de moyenne. Nous passons Bishop Rock en milieu de nuit.
La chance sourit, nous passons sous grand spi à 150° de vent en direction de l’arrivée. Nous profitons de ce moment pour nous reposer chacun notre tour. Un appel des Coast Gard permet d’apprendre que notre balise est en panne. Nous leur communiquons notre position pour que l’organisation puisse nous réintégrer sur un classement provisoire.
Dernière Lay line et empannage, Géry nous demande de réenfiler notre veste jaune pour les photos d’arrivée !
Cela se termine avec le sentiment d’avoir fait une belle course. Le second est à plus de 30 milles derrière nous. Nous posons le pied sur le ponton pour retrouver nos amis venus nous saluer chaleureusement.
Merci à notre équipier d’avant Punch toujours drôle, à Arnaud Aubry qui s’occupe du bateau et du reste… à Franck Le Gal qui me fait toujours rire, à Eric Sendra le fidèle, à Antoine Carpentier le plus expérimenté, à Julien Villion notre valeur ajoutée 2019 et à notre ami Gery qui nous a permis de gagner 5 fois cette course. (Les Anglais parlent d’une légende).
François Lamiot
Le Fastnet à bord de Léon, raconté par Jean-Pierre Kelbert :
Victoire dans 4 classes pour les JPK avec un Jacques Valer au sommet de son art !
Ordinairement le Fastnet se court autour de la mi-août et je n'ai jamais pu me libérer sur cette période pour participer à cette course mythique.
Cette année, les planètes se sont bien alignées avec une date départ au 3 aout, un nouveau JPK 1030 à tester et à promouvoir et surtout la disponibilité de mon pote Alexis Loison rendu libre par son père après la vente de "night and day" le JPK 1010.
En 2013, le tandem Pascal et Alexis avaient remporté l'overall ce qui ne s'était jamais fait auparavant et sur les autres éditions le même "night & day" avait fait 2ème à 15 secondes en 2015 puis gagné de nouveau le double en 2017.
Autant dire qu'avec Alexis comme binôme nous étions "au vent de notre bouée" !
Le 3 août, nous voici donc au départ de Cowes avec des conditions qui s'annoncent délicates sur la 1ère partie de course puis une 2ème phase plus ventée et avec des angles que notre JPK 1030 adore.
Samedi 3, il est temps de quitter le port de Cowes où notre "Léon" ainsi que "courrier recommandé" (le 1180 de Gery Trenteseaux) étaient amarrés au ponton d'honneur face au mythique Squadron.
Sur l'eau, des centaines de bateaux croisent en tous sens et le spectacle est ahurissant entre les Ultime, Imoca, Class 40 et les différentes classes IRC.
Il faut choisir son coté sur cette ligne très longue en intégrant côté sud l'avantage de la renverse favorable et précoce du courant mais avec le risque par ce même vent de sud de subir les dévents de la terre.
Finalement, nous partirons milieu de ligne et le résultat est plutôt moyen car la pression présente côté sud, ajouté au courant, a favorisé le groupe côté Ile de Wight. C'est un peu dans la douleur que nous sortons du Solent sous spi symétrique "étripé" pour serrer le vent au max (le bateau pour la course a troqué sa configuration asymétrique pour une configuration symétrique avec un bout dehors raccourci à 1m pour les voiles de reaching) puis génois. Le spectacle est magnifique aux Needles et rapidement le vent adonne un peu pour envoyer le A3. Tout de suite, cela allonge la foulée et nous recollons au groupe de devant mille après mille. Bien sorti du Solent, le Sun Fast 3300 Fastrack avec ses très grands asymétriques est rapide et vu l'équipe de champion à bord issue de la Volvo Race, nous comprenons vite que nous allons avoir de la concurrence solide de ce coté-là !
A3 puis Asy capelage et enfin le spi runner symétrique pour suivre la tendance adonnante du vent.
Pour l'instant, tout est OK et ça glisse bien sur "Léon" avec un retour aux avants postes de l'IRC double mais, nous nous préparons à bientôt cogner dans le "mur" de molle. Il va falloir attaquer cette zone dans sa partie la moins large et anticiper l'arrivée du nouveau vent SO. Les routages donnent une route assez Sud mais, les fichiers dans ce genre de situation sont à interpréter avec beaucoup de précautions. Alex phosphore depuis un moment car nous savons très bien que la course peut se perdre dès cette 1ère nuit et la journée du lendemain.
La transition arrive enfin et la nuit est faite de recalages et d'observations permanentes des autres concurrents à l'AIS pour deviner les veines de vent. Pour finir, nous nous en sortirons plutôt bien avec une stratégie sage plutôt centrale pour permettre un recalage éventuel. Le dimanche matin, le vent devient quasi nul et avec les 110 de coefficient de marée, il vaut mieux que cela ne dure pas trop. Le vent rentre enfin très graduellement et nous sommes nombreux en tribord amure à aller chercher la bascule annoncée du vent au Sud-Ouest. "léon" avec son nouveau génois léger est un peu plus véloce qu'en début de saison et nous limitons vraiment la casse. "Fastrack " est toujours devant à 2 milles mais n'est pas plus rapide et "raging Bee" le 1080 de Loulou Dusserre avec Bruno James est avec nous et revient surement. Nous n'avons pas encore de classement mais nous espérons être dans le vrai groupe de tête car avec une distribution totale la nuit passée nous ne sommes certain de rien ! Une chose est sûre Noel Racine avec son 1010 "foggy dew" n'est qu'à 2 milles derrière et il est heureux qu'il ne soit pas dans notre classe avec son rating bien plus bas !
Après quelques pif paf dans les ados/refus, Alex pense que nous sommes dans le bon timing pour virer et faire route vers la pointe de la Cornouaille et les Scillys avec nos concurrents légèrement à notre vent. Pour l'instant, nous ne faisons pas le cap mais le vent va poursuivre sa rotation et on veut se faire la "cuillère" par en dessous. Le bord est long, il faut aller vite et régler tout le temps. Ça tombe bien, il y a un figariste à bord (!) et clairement c'est du non-stop pour Alex d'ajuster et réguler. Les heures passent et le travail paye car au passage du DST, nous sommes revenus proche de Raging Bee et Fastrack avant d'attaquer une descente de quelques milles à 110° du réel pour parer les iles Scillys. Il y a 23/25 nds et nous décidons de vite envoyer notre A3 "magique". Le bateau accélère fort et nous voilà babord amure à 12/16 nds à fondre sur nos concurrents. Fastrack décide d'envoyer lui aussi son spi de brise et n'arrive pas tenir le cap. Nous le dépassons sans coup férir, tout comme Raging Bee qui navigue sous gennaker. Tout cela est de bon augure pour la suite car cet angle sera celui prévu pour les 150 milles du retour Fastnet ... Les Scillys approchent et le ciel est de plomb très menaçant avec, nous le savons, des claques possibles au passage du front. Prudents, nous décidons d'affaler notre A3. Cinq minutes plus tard le vent mollit et nos deux concurrents qui ont gardé leurs voiles de portant reviennent sur nous. Nous replions le spi fissa et il est renvoyé à la volée. 10 mn plus tard ça claque à 28/30 nds et l'affalage s'impose et vite. C'est chaud mais le spi rentre à bord sans bobos. Fastrack sous gennaker désormais glisse fort mais sous la route tout comme Raging bee. La nuit tombe enfin et nous attaquons sous génois notre immense bord qui nous fera traverser la mer d'Irlande. A 2 h du matin, Fastrack qui était devant sous le vent vire et croise 1 mètre (!). Alex est tranquille à la barre, moi je le suis moins car difficile d'apprécier les distances de nuit. Je garde l'écoute de GV à la main tellement le croisement est serré ! C'est à ce moment-là que nous glissons définitivement en tête de la course des doubles. Nous sommes au près, légèrement débridé et le bateau est facile à faire marcher. Je remplace Alex à la barre même s'il semble pouvoir tenir comme cela 3 jours ! A bord pas de quart pré établi mais un seul objectif, être toujours à 100% du potentiel. Les heures défilent et nous creusons très sensiblement sur les deux morpions qui s'accrochent ! Le jour arrive et la lumière s'intensifie sur une mer bleue profond et un ciel dégagé. Autour de nous, il n'y a que des "gros bateaux" et nous jubilons quand nous revenons sur des bateaux de 40 pieds menés en équipage. Ca grimpe à 25 /28 nds et nous sommes toujours sous GV haute et J2 à 50/60° du vent. Le bateau est puissant et ça galope. Nous arrivons enfin à la pointe Est du DST avec sous le vent la pointe de l'Irlande qui apparait. Pour moi, c'est un super moment car je n'ai encore jamais fait de Fastnet et me retrouver là, dans ce paysage grandiose, avec le phare du Fastnet qui se dessine au loin et les champs de verdure de la pointe Irlandaise, tout cela est assez émouvant et avec Alex c'est du vrai bonheur. On lofe de 20° pour parer le phare à 3 milles et nous sommes au près avec une mer assez forte.
C'est la première fois que je navigue dans ces conditions avec le bateau et il marche comme un avion, plus vite, plus haut que le J 121 qui navigue devant !
Le phare mythique approche et l'hélico arrive pour nous filmer. Alex en habitué me dit que c'est bon signe !!
Il a déjà vécu ça en 2013 et en 2015 avec Pascal sur "night and day". Nous passons au raz du rocher et c'est magnifique. Je savoure le moment à la barre mais déja on pense à la suite, au passage de l'angle haut du DST avant la grand bord retour de 150 milles jusqu'aux Scillys. Je passe sur la plage avant pour préparer le A3 arrisé et ça mouille pas mal. Ça y est le spi est envoyé et le bateau part tout de suite en surf sauvage. Ça fume et Alex découvre avec le sourire le potentiel du bateau à cette allure. Les gros bateaux qui étaient avec nous sont vite décrochés et la cavalcade commence avec à l'AIS les cibles arrière qui disparaissent et les cibles devant qui se déclenchent ! C'est vraiment bon car nous marchons en moyenne 2 à 3 nds plus vite que les autres bateaux. Dream Pearl, le 1080 d'Eric Mordret apparait à son tour. Il est pour l'instant en tête des IRC 3 mais plus pour longtemps ! Le différentiel de vitesse est tel que 30 mn plus tard nous le perdons à l'AIS ! Seul Numeg le MC 34, imbattable à ces allures, résiste et nous allons rester proche jusqu'à l'arrivée. La nuit tombe et nous nous relayons à la barre. C'est juste jouissif de barrer le bateau qui reste super fin à placer sur les vagues avec le bon angle. A un moment, ça monte à 35 nds et l'adrénaline grimpe encore faisant oublier toute sensation de froid car ça mouille fort sur le pont et je suis trempé jusqu'au slip ! 22.5 nds sera le record surface du bateau ! 7 h après le Fastnet, nous avons déjà parcouru 90 milles quand le brêlage de l'anneau du bout dehors cède. Le spi claque derrière et il faut vite le ramener à bord car ça souffle à plus de 30 nds. Pas le choix, nous lâchons totalement la drisse de capelage et le spi chalute derrière. Tenu par un seul point, nous arrivons à le hisser à bord. Bon dommage car nous devions garder le pépin encore 2 h pour finir lofé sous génois. Ça marche quand même sous J2 et au petit jour, les Scillys sont déjà là, apparaissant dans la boucaille.
Le DST est paré et on se retrouve de nouveau avec un angle spiable. Le A3 est en l'air et la cavalcade reprend à 130° du vent par 25/30 nds. Nous rattrapons Codiam, Pintia et une floppée d'IRC 1 qui semblent un peu posés ! Le vent adonne comme prévu et nous troquons le A3 pour le S2. Le spi tout neuf en 0.75 nous fait peur dans les grains à 28/30 nds mais Alex gère la barre et régule tout seul son spi. Au cap Lizard, le réseau permet de récupérer un classement. C'est bon !! Plus de 30 milles collés cette nuit à nos concurrents directs, je n'en reviens pas ! Le vent se calme un peu, ça fait du bien mais ça joue contre nous pour l'overall qu'on sait déjà gagné par le Volvo 70 et aussi le Mach 45. Gery sur "courrier recommandé" est 5ème overall et loin devant les autres IRC 2 (2 autres JPK 1180 avec Numeg intercalé) et nous pouvons encore aller le chercher !
La fin de course est clémente avec le retour du soleil et 20 nds de l'arrière. Les cirés sont enlevés et j'enfile une tenue sèche, le bonheur. Dernière Layline, Alex est parti faire une mini sieste et il est difficile de le réveiller. C'est vrai qu'il a dû dormir 2 h en 3 jours ! On rattrape un XP 46 mais sur le dernier "faux jibe" avec tangon sous le vent nous voyons le spi se déchirer sans savoir comment ! Il reste 2 milles qu'on avale sous génois/GV. Ça y est la ligne est franchie et c'est top, nous pouvons être fiers de nous.
Un immense bravo à Jacques (Valer) qui s'est surpassé cette année avec ses dessins aux premières places en IRC 1 (proto Millon 41 de Jacques Pelletier), en IRC 2 (Gery), en IRC 3 (Léon), en IRC 4 (Foggy dew) et en IRC double (léon) ! Avec le 1030, il nous a dessiné un bateau hallucinant pour le off shore.
Un immense merci à Alex qui s'est donné sans compter et m'a donné une belle leçon de voile.
Et un grand bravo et merci à tous les équipages de JPK qui ont trusté les podiums.
Jean-Pierre KELBERT